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Il y a globalement trois composantes d’une motivation durable au travail. Dans cet article, je ne vous parlerai que de deux d’entre elles : le sens et le plaisir.

On parle beaucoup de sens au travail actuellement. L’époque le veut : les changements en cours sont légion (écologiques, énergétiques, technologiques, sociaux, etc.) et les défis à relever sont immenses. Certains d’entre eux font planer des menaces non négligeables sur notre avenir. Du coup, cette situation donne envie à beaucoup de personnes – et en particulier des jeunes, mais pas que… – de participer à la résolution de certaines de ces problématiques. Cette vocation est clairement mue par la recherche de sens au travail. Nous allons voir que c’est important, mais pas suffisant pour maintenir un engagement durable.

L’exemple de Stakhanov

Aleksei Stakhanov était un ouvrier russe dans une mine de charbon à l’époque soviétique. Il devint célèbre en 1935 pour avoir extrait 102 tonnes de charbon de la mine en 6 heures, soit environ 14 fois la norme attendue. La propagande soviétique le présenta en modèle pour tous les ouvriers de l’URSS : il ne fallait certes pas économiser ses efforts pour la construction du « paradis » communiste. Sa renommée franchit rapidement les frontières, il fit la une du magazine Time en 1935. En dépit des accusations de manipulation sur la véracité de son action, son nom est resté célèbre : j’ai souvenir qu’au début des années 80, lors de mes études en prépa, le verbe argotique « stakher » s’était imposé parmi les étudiants en lieu et place du très respectable « travailler ».

Pour autant que son histoire soit véridique dans les détails, Stakhanov est l’exemple même du travailleur qui s’investit pour des raisons de sens ! La construction du socialisme à l’époque s’apparentait à l’avènement d’un monde meilleur et faisait rêver des foules d’utopistes. Personne ne lui aurait imposé de produire une telle quantité de charbon et il est, semble-t-il, jusqu’à la fin de ses jours, resté fidèle à l’idéal communiste, incitant les ouvriers à mettre toute leur énergie dans le travail.

L’importance relative du sens

L’importance du sens au travail relève de la cohérence entre les différentes parties de son être : physique, émotionnelle et intellectuelle (ce qu’on appelle congruence dans le jargon de l’accompagnement). Être en plein accord avec la finalité de son action est une condition essentielle de l’équilibre émotionnel d’une personne. Ainsi, si votre inconscient est rebuté par le résultat de votre travail (si, par exemple, vous vendez des produits contraires à votre éthique), il y a de fortes chances que votre motivation s’essouffle rapidement, en dépit de la force de conviction que votre mental essaiera d’y appliquer (par exemple, en vous rappelant que vous êtes bien payé, que les conditions sont agréables, etc.).

La question du sens est donc essentielle, mais pas suffisante. La légende de Stakhanov n’insiste pas assez sur le fait que, dès 1936, soit un an après son exploit, il quitte la mine pour du travail de bureau à Moscou, puis pour des postes de direction sur des bassins miniers. Comment aurait-il évolué s’il avait dû rester les 30 années suivantes au fond de la mine, allongé des heures durant dans une excavation sombre, armé d’un piolet ou d’une perforatrice, avec pour simple but de creuser la roche et d’en extraire le charbon. La motivation ne se serait-elle pas évanouie par lassitude, par manque de plaisir, et ce en dépit du sens de son action.

Le plaisir au travail

Dans le cadre de mon activité bénévole au sein de l’Association des Anciens Polytechniciens, je reçois fréquemment des jeunes ingénieurs malheureux dans leur travail par manque de sens. Hier, l’un d’eux me disait vouloir absolument travailler pour le climat, sans savoir ce qu’il voulait faire. Au bout de quelques minutes à l’écouter, je lui demandai ce qu’il aimait faire, concrètement et au quotidien. Quelles étaient les tâches dans lesquelles il prenait du plaisir ? La question fut une surprise pour lui. Or, pour résoudre les problèmes écologiques, il faudra qu’un milliard de personnes effectue un travail de fourmi ou adopte un changement de comportement qui aidera à rétablir l’équilibre consommation / ressources. Une poignée seulement sentira qu’il a un impact sur le changement, tant son rôle aura été minime. L’engagement par le sens est donc important, mais certainement pas suffisant.

Le souci est qu’on n’a pas été habitué à réfléchir à ce qu’on aime faire. Un de mes clients il y a 2 ans a manifesté une vive angoisse (incompréhensible pour lui) lorsque je lui ai posé la question. Les sources du plaisir restent très dures à conscientiser. Un exemple personnel : j’adore construire des tableaux Excel. Pourquoi ? Serais-je capable de le faire 7 heures par jour, je ne sais pas, mais 2 heures de temps en temps, j’aime bien. J’aime jongler avec les chiffres (comme d’autres jonglent avec les mots) et bâtir un modèle complexe, ordonné, dont tous les maillons s’imbriquent à la perfection pour apporter le résultat désiré. En plus, je trouve ça beau ! Quand je coache, je fais de même : j’aide mon client à mettre de l’ordre dans ses pensées et ses émotions, je cherche avec lui la donnée clé sur laquelle repose son modèle existentiel et je l’aide à bâtir un modèle cohérent sur lequel il pourra axer ses décisions futures.

Bref, loin de moi la volonté de m’allonger sur le divan en écrivant cet article, cet exemple ne servait qu’à expliciter la notion de plaisir au travail. Et le fait d’apprécier l’acte n’en est pas la seule composante : le plaisir au travail passe aussi par l’ambiance, les relations humaines, le degré de reconnaissance, les conditions de travail, etc… une panoplie d’éléments sans lesquels l’engagement du collaborateur s’émoussera rapidement malgré tout le sens qu’il pourrait donner à son action.

En conclusion

Sens et plaisir sont deux composantes indissociables de la motivation des êtres humains au travail. J’invite, par cet article, tous les managers, tous les directeurs, à se poser la question de la motivation de leurs collaborateurs sous cet angle (après se l’être posée pour eux-mêmes au préalable, naturellement ?). Je vous ai parlé d’une troisième composante, mais celle-là je vous laisse la deviner pour l’instant. Ou continuez à lire mes articles, si vous y prenez du plaisir.